Islande Est et Nord
A la lisière de l'Arctique

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Après nous être dégagés des perturbations orographiques des îles, le rythme des quarts se met en place dans un vent de sud-ouest modéré et un ciel bas. Le lendemain, le soleil fait provisoirement son apparition, puis le vent tourne au sud-est en soirée, toujours favorable. Les prévisions météo de la BBC nous abandonnent, nous sommes trop au nord! La deuxième journée, le vent d'est monte à force 5, et La Volta II déboule, toujours au portant. La brume s'installe dans l'après-midi et nous naviguons au radar. Cette traversée est rondement menée (plus de 5 nœuds de moyenne) mais un peu triste, à l'image de la couleur grise du ciel et de l'eau. Il pleut parfois. Seuls quelques pétrels fulmar nous distraient en s'amusant à frôler notre coque ou nos voiles. En fin de journée, les événements se précipitent: nous croisons un cargo (au radar et... au bruit), nous entrons dans la carte de détail de l'Islande, nous franchissons le 65ème parallèle et nous troquons le drapeau férioen contre le drapeau islandais!
Puis, ce 30 juin à 19 heures, Gaëlle aperçoit la falaise minérale et sombre d'un fjord qui déchire la brume. « La vache! » s'exclame Bruno (qui ne se souvient pas s'être exclamé en ces termes depuis la vision du Stromboli en éruption plus de deux ans auparavant). Terre! Et triple ration de tafia pour Gaëlle qui l'a vue la première. On ne pouvait rêver de plus bel atterrissage: la falaise s'estompe et réapparaît au gré des bancs de brume, puis nous distinguons l'autre côté du fjord, dans lequel nous nous engageons.
L'Islande surgissant de la mer


« - Messire a-t-il jamais fait voile pour l'Islande?
Le Hambourgeois dit que non.
- Messire n'a pas vu l'Islande surgir de la mer après une longue et pénible traversée? dit Arnas Arnaeus. […] Des montagnes fouaillées par les tempêtes y surgissent d'une mer agitée ainsi que des pics de glaciers entourés de nuages orageux. […] Il m'est arrivé de rester debout sous le vent dans une cogue, sur la trace des pillards de mer norvégiens au visage buriné qui erraient longtemps sur la mer, chassés par la tempête - jusqu'à ce que, soudain, surgisse cette image. […] Il n'y a pas de spectacle plus imposant que l'Islande surgissant de la mer. Rien qu'à voir ce spectacle, on pénètre le secret qui fait que c'est là qu'ont été écrits les livres les plus remarquables de toute la chrétienté.
- Oui, eh bien? dit l'Allemand.
- Je sais que vous comprenez maintenant, dit Arnas Arnaeus, qu'il n'est pas possible d'acheter l'Islande. »
(Halldor Laxness, La cloche d'Islande)


La visibilité s'améliore au fur et à mesure de notre avancée, et nous avisons les névés sur les pentes abruptes des montagnes. Nous nous amarrons à un minuscule ponton flottant au fond de ce fjord de 10 milles de long. Nous sommes euphoriques: 260 milles en 48 heures (record de Gaëlle battu!), et l'objectif maritime du voyage est atteint: l'Islande!

Au ponton Gaëlle joyeuse

On est arrivé!


Seydisfjordur est le point d'arrivée traditionnel des voiliers qui choisissent d'atterrir dans l'est de l'Islande. Nous sommes le cinquième à venir ici cette année. La bourgade est plaisante, avec ses riches maisons de tôle du siècle dernier, parfaitement entretenues. Le lendemain, il fait beau. Nous en profitons pour faire une lessive, puis Arielle ressort sa planche à dessins, tandis que Gaëlle et Bruno partent en auto-stop faire un tour vers l'intérieur: les lacets de la route se faufilent entre les cascades et les névés, la vue sur le fjord étincelant est magnifique. Après le col, nous descendons vers Egilsstadir et son lac aux eaux laiteuses, qui paraît-il abrite un monstre, que nous ne verrons pas.
Nous prenons nos marques avec l'Islande: tout est environ deux fois plus cher qu'en France (c'est confirmé dès notre premier achat: une pinte de bière à dix euros), sauf les piscines dont nous profiterons souvent, et les places de port qui sont gratuites, ce qui finalement rééquilibre notre budget.
Effort Réconfort

Après l'effort...

...le réconfort!

Sylvain, le frère de Gaëlle, nous rejoint à bord le soir-même, pour trois semaines. Malgré sa fatigue (il n'a guère dormi depuis 24 heures), il est illico entraîné par Bruno pour une fameuse bordée à terre. Nous sommes samedi soir, et nous nous adaptons au rythme festif islandais, qui n'est pas sans rappeler celui de l'Espagne: le bar ne se remplit qu'à partir de minuit et reste bondé jusqu'à 4 heures. La patronne nous offre force tournées de whisky et nous finissons sur un gros chalutier à 6 heures du matin (pour résumer!).
Les jours suivants, la pluie nous confine sur un circuit piscine - cybercafé - supermarché - bateau. A la piscine, un panneau écrit en quatre langues (y compris en français, ce qui est plutôt rare par ailleurs) informe le client qu'il faut se déshabiller complètement sous la douche et un schéma indique les zones du corps à nettoyer absolument! Nous apprécions ce sens de l'hygiène, puis la chaleur des « hot pots », petites baignoires bien chauffées, dans lesquelles nous passons plus de temps à nous prélasser qu'à faire des longueurs dans le grand bain.
Nous sommes conviés à bord d'un voilier Allemand qui nous a rejoints dans le fjord. Joerg incite Sylvain et Bruno à se lancer dans le « ice-boat », sorte de planche à voile à patins, qui atteint facilement plus de 100 km/h en moins de temps qu'il ne faut pour s'en apercevoir. Les champions vont à plus de 200 à l'heure et ce sport est pratiqué par une centaine de cinglés dans le monde, essentiellement en Europe du Nord et en Amérique du Nord. Les bouteilles de vin allemand défilent et leur consommation rend euphoriques Sylvain et Bruno: « C'est d'accord, il faut absolument un équipage français dans votre championnat! »

Nous reprenons la mer ce 5 juillet. L'étape sera courte, car la mer est hachée malgré un vent faible, et Sylvain n'est guère amariné. Gaëlle cajole son frère qui a le mal de mer: bouillotte, bananes et walkman pour lui, que Bruno soupçonne de profiter de la situation. Nous identifions le labbe parasite, un oiseau agressif, agile et audacieux: il attaque les pétrels qui doivent s'acquitter du produit de leur pêche, malgré les protestations indignées de Gaëlle. Nous arrivons vers minuit à Vopnafjordur, attendus sur le quai par le harbour master qui nous a probablement vus venir de sa fenêtre. Nous apprécions l'accueil.
Le lendemain, il pleut et Gaëlle a laissé sa veste de quart dehors. « Horreur! " écrit-elle sur son carnet. Heureusement, l'hôtel du coin passe sa veste au séchoir et nous pouvons repartir en fin d'après-midi. Nous larguons les amarres. « Bon, on n'a plus qu'à attendre » déclare Sylvain. Il prend tout de même un quart avec Bruno de 23h à 2h, pendant lequel la pénombre s'installe à peine et le vent de terre est irrégulier, alors qu'une dizaine de grosses baleines laissent échapper leur souffle humide à plusieurs mètres de hauteur, qui reste comme suspendu dans l'air plusieurs secondes.
Peu après, nous passons Langanes, la pointe la plus au nord-est de l'Islande. Nous nous méfions des courants de marée et n'avons que les horaires d'il y a deux ans, desquels nous avons approximativement déduit ceux de cette année grâce aux phases de la Lune. Mais le vent mollit et c'est au moteur que nous basculons sur la côte nord de l'île. Arielle croise un voilier au loin pendant son quart. La Volta II n'avait plus fait une telle rencontre en mer depuis Inverness en Ecosse. Puis le vent revient et Arielle remet à la voile.

Le temps est couvert. Un bord de largue est tiré vers le Nord… Il se rapproche… Nous surveillons le GPS... Enfin, à 11 heures et 15 minutes ce 7 juillet, nous franchissons le cercle polaire, par 66°33,6' Nord et 15°30' Ouest! Notre nouveau statut de navigateurs arctiques est dignement arrosé avec la bouteille de champagne offerte par les copains de Nantes, dans une deuxième bourriche-cadeau ouverte à Seydisfjordur. Le bouchon, projeté bien haut dans le ciel par Gaëlle, rejoint les flots de l'océan Glacial Arctique. Quelques gouttes sont versées à la mer afin qu'elle nous soit favorable, quelques autres pour notre voilier afin qu'il nous reste fidèle, puis nos quatre verres sont remplis et vidés jusqu'à ce que le niveau de la bouteille touche le fond.
La preuve La bouteille Les verres
Le cercle polaire arctique: la preuve!

Le cercle polaire frôle la côte nord de l'Islande et le bord suivant nous fait repasser à son sud. Un peu plus tard, nous croisons des dauphins à bec blanc, espèce qu nous n'avions jamais vue auparavant. Gaëlle franchit de nouveau le cercle polaire pendant son quart, sans s'en apercevoir, puis nous envoyons le spi. Celui-ci est affalé trois heures plus tard suite à une accélération jusqu'à 8 nœuds. Au petit matin, alors que notre sillage se dirige vers une vaste baie au fond de laquelle se trouve notre prochaine escale, le vent souffle du sud, contraire. Cela dégage le ciel, mais bientôt nous voici sous trois ris dans un véritable coup de vent! Cela reste maniable car la mer est peu formée. Jusqu'où le vent va-t-il monter? Enfin, après quatre heures à tirer laborieusement des bords, nous atteignons Husavik, au terme de 140 milles de navigation parcourus en 39 heures. Nous nous amarrons à un bateau de pêche et nous affalons dans nos bannettes.
Au petit matin


Le vent commence à forcir à l'approche d'Husavik.


Après notre traditionnelle visite à la piscine, nous découvrons la ville, capitale du « whale watching ». Captain Einar du bateau Faldur vient prendre un café à bord de La Volta II, et nous le questionnons afin de connaître les lieux de prédilection des baleines. Hier, les touristes chanceux ont pu voir des mégaptères et surtout des baleines bleues. Les plus communes sont les petits rorquals.
La voiture de location réservée la veille nous est amenée au quai à 8 heures du matin. Nous l'avons pour 24 heures et sommes fermement décidés à en profiter dans ce pays où il fait jour tout le temps. Nous commençons par visiter la vallée de la Jokulsa, avec ses curiosités géologiques, ses canyons et ses impressionnantes chutes d'eau, parmi lesquelles Dettifoss, la plus puissante d'Europe. Plus loin vers le sud, nous découvrons une grande variété de paysages volcaniques hauts en couleurs: coulées de laves, lacs de cratère, fumerolles, mares d'eau chaude, boues bouillonnantes. Nous ne résistons pas à nous baigner dans une piscine d'eau chaude naturelle, toutefois un peu trop aménagée à notre goût. Puis nous explorons les environs du lac Myvatn, avec ses îlots de lave aux formes incongrues, ses mini-cratères, ses failles d'eau chaude… Enfin, à 2 heures du matin, alors que la fatigue nous gagne, nous atteignons notre 15ème et dernier site de la journée: la chute d'eau de Godafoss, magnifiée par un soleil rasant. Enfin nous rentrons au bateau. Les touristes que nous sommes en ont pris « plein les mirettes », selon l'expression de Sylvain, qu'il n'a cessé de répéter pendant nos 18 heures de visite intensive.

La chute d'eau de Selfoss
dans la vallée de la Jokulsa.

Selfoss


Eau lactée Le lac Myvatn

Les curieux contrastes des paysages volcaniques.

Le lac Myvatn à une heure du matin.


La chute d'eau de Godafoss...


... à deux heures du matin.

Godafoss Sylvain

Gaëlle et Bruno profitent le soir de leur troisième restaurant du voyage (comme nous sommes raisonnables!) Ils choisissent un repas simple (coût de la vie oblige) mais très bon: soupe, morue, glace. De retour au bateau, ils sont attendus par Arielle, qui paraît soucieuse. Elle s'est trompée de réservoir et a mis plusieurs litres d'eau dans le gasoil.
Le lendemain, la vidange de l'eau, la purge du circuit de gasoil et le remplacement des filtres nous prennent la journée. Malheureusement, lors de la sortie en mer du jour suivant, le moteur a des ratés. Nous manœuvrons à la voile pour revenir nous amarrer au port. L'eau, plus lourde que le gasoil, a remué le fond du réservoir et des impuretés se sont faufilées dans le circuit. Il nous faut nous procurer de nouveaux filtres car nous n'en avons plus de rechange. Billy, notre copain mécanicien des Shetland, nous donne quelques conseils par téléphone. Sylvain, héroïque, décrète qu'il faut entièrement vider le réservoir pour bien le nettoyer. Il siphonne le gasoil dans des bidons, non sans en avaler quelques gouttes, pour initialiser l'écoulement! Enfin, nous démontons le réservoir, mais il ne peut sortir du coffre arrière. Sylvain et Bruno s'y enferment et rincent le réservoir plusieurs fois avec du gasoil, en le secouant énergiquement et en vociférant pour s'encourager.
Arielle, très ennuyée par sa méprise, aide les garçons alors que Gaëlle est handicapée par un mal de dos persistant. Heureusement, il fait beau durant ces journées de bricolage. Nous ne négligeons pas d'apprendre quelques mots d'islandais:
« Talar thu frönsku eda ensku? »
Enfin, après trois jours de travail dans le moteur, celui-ci démarre au quart de tour, dans un regain de jeunesse!

La Volta II repart. Nous suivons de loin les bateaux de whale watching pour profiter de leur expérience, mais ne distinguons des cétacés que de loin. Le temps est brumeux, nous apercevons tout de même l'île plate de Flatey. Nous alternons moteur et spi dans un vent mollasson, et vérifions régulièrement les purges du circuit de gasoil pour voir s'il reste de l'eau ou des impuretés. Nous faisons un nouvel essai de pêche mais la ligne se casse. Quels piètres pêcheurs nous sommes! Nous nous rabattons sur le gouda, le seul fromage qui ne soit pas hors de prix en Islande.


Le gouda c'est sympa
(paroles et musique: Sylvain Clanet)

« Le gouda c'est sympa
On en mange en en-cas
Ca n'a pas d'goût, mais on s'en fout.

Le gouda c'est sympa
C'est tout dur ça n'pue pas
Et au moins ça n'colle pas aux doigts.

Le gouda c'est sympa
Que vous aimiez ou pas
On en a à tous les repas.

Le gouda c'est sympa
Ca vous cale l'estomac
Et c'est là sa mission principale.

Le gouda c'est sympa! »

Le gouda c'est sympa!

Nous faisons notre entrée en soirée à Siglufjordur, alors que le soleil couchant embrase les montagnes du fjord.
Nous sommes emballés par le musée du hareng. Nous passons des heures à tout examiner: photos, maquettes, bateaux grandeur nature, présentés dans un agencement et un éclairages appropriés. Le bâtiment où logeaient les saisonniers (qui étaient surtout des femmes) nous laisse l'impression d'être encore habité: vêtements, ustensiles de cuisine, radio, tout semble encore prêt à servir. La ville était beaucoup plus importante et opulente jusqu'à la chute brutale des stocks de hareng dans les années soixante.
Un pêcheur nous offre du poisson et retourne à son ouvrage, sans manières ou démonstrations superflues, écoutant à peine nos remerciements. Le capitaine du port, lui, nous offre une carte marine qui nous manquait, de façon simple et détachée, à l'islandaise.

La Volta II entame l'étape suivante, qui doit nous mener jusque dans les fjords de l'ouest.

La navigation continue :

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