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Islande Ouest et Sud
Terre de glace et de feu
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Peu après la sortie du port, la brume nous rejoint. Nous progressons quelques heures au moteur et doublons un chalutier au radar. Le vent se lève enfin le lendemain, favorable. Nous croisons un voilier normand et échangeons quelques mots en VHF. Ils ont choisi de faire le tour de l'Islande dans le sens des aiguilles d'une montre, c'est-à-dire poussés par les courants dominants. Nous avons choisi de faire le tour dans l'autre sens, avec les vents dominants favorables. Les deux options sont respectables, mais pour l'instant, ce sont eux qui tirent des bords!
Nous doublons le cap Horn (mais oui) sans le voir. Nous sommes de nouveau assez proches du cercle polaire, mais sans le franchir cette fois. Le ciel se dégage et le vent monte progressivement à force 7. Nous déboulons et doublons Straumness, la pointe nord-ouest de l'Islande. Une fois ce cap dépassé, le vent qui vient maintenant de terre se calme, pour tomber complètement. Nous sommes à peine entrés dans l'Isafjardarjup, le premier grand fjord de l'ouest, que le vent forcit de nouveau, de façon brutale: il descend d'une vallée au fond de laquelle nous savons que se niche un glacier. Au près sous trois ris, c'est du force 8! Nous renonçons à nous rapprocher du glacier, encore invisible, et nous réfugions à Isafjordur, la capitale de la région, après trente heures de navigation dont les trois dernières à lutter contre le vent, quoique sur une mer peu formée.
Dans le port, une barge de forage rouillée flotte entre deux eaux. Elle gîte un peu mais semble ne pas devoir couler immédiatement. Nous nous y amarrons. L'étape de 140 milles a été bouclée en 31 heures.
La Volta II à couple dans le port d'Isafjordur, capitale des fjords de l'ouest.
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La ville est située au fond d'un fjord spectaculaire et le petit centre est plutôt sympathique. Toutefois, notre objectif est de visiter les fjords environnants, où nous attendent de superbes sites naturels. Mais nous y restons bloqués par le mauvais temps.
L'ambiance à bord devient morose au fur et à mesure que les jours défilent. Gaëlle a toujours mal au dos, ce qui la démoralise. Sylvain voit son séjour en Islande s'écouler sans avoir encore fait de belle marche en montagne. Le petit chauffage à alcool acheté aux îles Féroé est mis à contribution pour assécher et réchauffer l'atmosphère dans notre voilier. Finalement, Gaëlle consulte le beau docteur Thorsteinn à l'hôpital, qui fait craquer son dos et prescrit de nouveaux médicaments. Le séduisant praticien doit avoir la patte magique car Gaëlle a déjà moins mal! A moins que ce ne soit le retour du soleil.
Après trois jours d'escale forcée,
La Volta II s'engage dans le dédale des fjords. A Hesteyrarfjordur, nous mouillons (ce n'était pas arrivé depuis les Shetland) et nous baladons dans la nature, jusqu'à une usine désaffectée de dépeçage de baleines. Nous aimons méditer devant ces amas de briques et de tôles, témoins de l'activité passée. Il est plaisant de le faire en tee-shirt, après ces journées grises et froides.
Un phoque salue notre départ (nous n'en avions pas vu depuis les Shetland). Nous nous dirigeons vers Leirufjordur, aux eaux laiteuses issues du grand glacier Drangajokull qui domine la vallée de sa blancheur. Notre bateau pose dans ce somptueux décor, toutes voiles dehors, pour une séance de photos prises depuis l'annexe. Puis nous jetons l'ancre et partons en balade.
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La Volta II superstar!
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Sylvain et Bruno remontent longuement la vallée. Ils marchent parfois sur des mousses d'un vert étincelant, parsemées de joncs à coton. Quelques petits sapins bleuâtres forment des bosquets. Les marcheurs sont observés par des oiseaux téméraires et curieux. Le sol est parfois trop humide, rendant la progression difficile, aussi préfèrent-ils monter vers la crête, plus rocheuse. Au loin, la rivière se jette en contrebas dans une furieuse cascade. L'eau poursuit sa descente vers le bas de la vallée, où les alluvions ont aplani le relief. Les nombreux bras de la rivière y serpentent, paresseux et apaisés. Les randonneurs décident de s'arrêter avant le dernier pierrier, d'où ils dominent le front du glacier. Ils sont heureux!
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Dans la vallée.
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Les joncs à coton.
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Face au glacier.
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Retour vers le fjord.
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De retour au rivage, Bruno recherche sans succès les bottes qu'il avait laissées entre deux rochers, alors que Sylvain souffle dans la corne de brume en direction du voilier au mouillage, selon le signal convenu. Arielle vient alors en annexe récupérer les marcheurs. Au bateau, Gaëlle apprend à Bruno qu'à la fin de sa balade, elle a récupéré de justesse les bottes qu'ils avaient imprudemment laissées sur l'estran, alors que la marée les avait déjà immergées. Et nous qui, la veille, avons ri des bêtises des plaisanciers en délicatesse avec le marnage, croqués dans les fameux dessins de Peyton!
Nous fêtons l'anniversaire d'Arielle, et le décor qu'offre ce fjord n'est pas le moindre des cadeaux! Puis nous faisons voile vers le sud. Nous longeons la série des fjords de l'ouest, sans y pénétrer, et devons parfois faire face à un fort courant contraire au niveau des pointes. Nous croisons quelques petits rorquals. Le spi ou le moteur nous font progresser tant bien que mal dans des petits airs. Nous atteignons enfin Bjargtangar, la pointe la plus à l'ouest de l'Islande et donc de l'Europe, au large de laquelle un « röst » est indiqué sur la carte. Toutefois la mer reste calme.
Puis nous traversons le large Breidafjordur, avec comme point de mire le fameux volcan du voyage au centre de la Terre de Jules Verne, aux formes parfaites, recouvert d'un glacier: le Snaeffelsjokull! Comme pour compléter ce décor mythique, des dauphins font quelque bonds, et quatre orques passent non loin de nous, devant le glacier. Les deux mâles exhibent leur immense aileron dorsal.
Après 35 heures de mer, nous entrons dans le port d'Olafsvik. A peine amarrés, nous utilisons de nouveau la seule technique de pêche que nous pratiquons avec succès: un pêcheur nous offre une superbe morue, qu'il a la gentillesse de nous découper en filets. Nous trinquons avec le pastis ramené de France par Sylvain.
Le lendemain, Bruno et Sylvain montent en auto-stop la piste qui mène au pied du glacier, puis s'engagent sur celui-ci. Il y a de la circulation! Dameuses et motoneiges trimballent des touristes sur la glace en formant un étrange ballet. Ils sont les deux seuls piétons. Bruno exhorte Sylvain à la prudence, car des crevasses font leur apparitions. Ce dernier soutient que l'on peut continuer sans problème. Après quelques chamailleries concernant le degré de prudence à adopter, ils arrivent au sommet. Enfin presque, puisqu'une barre rocheuse abrupte chapeaute le glacier. Sylvain s'y engage, sans toutefois se risquer dans le dernier à-pic. Au sommet, ils sont éblouis par la vue. Au nord, à l'ouest et au sud s'étend l'océan Atlantique. A l'est s'étire la péninsule de Snaefellsnes, avec ses sommets constellés de plaques de neige et ses côtes où alternent des amas de blocs de lave et des plages de sable doré. Ils sont heureux!
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Sylvain, petit point au sommet du volcan.
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La récompense est grande pour les marcheurs!
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Sylvain nous quitte et prend le bus pour Reykjavik où l'avion du retour l'attend. Nous le regardons partir avec regret. Son naturel, sa bonne humeur, son sempiternel bavardage, parfois aussi sa fougue dans l'expression de ses opinions, auront transformé l'ambiance à bord.
Le cap est mis vers le nord-est, car nous souhaitons nous attarder un peu dans le Breidafjordur avant de rejoindre Reykjavik. Ce fjord très large est parsemé de milliers d'îles et d'îlots, entre lesquels on peut se faufiler dans des passes soumises aux courants de marée. Le marnage, qui n'est que d'un mètre dans l'est de l'Islande, est ici de quatre mètres. A la faveur d'une bonne visibilité, nous nous dirigeons vers le port de Skardstod. Nous croisons le sillage d'Eric le Rouge, puisque celui-ci s'était établi sur les rivages du Hvammsfjordur dont nous longeons la sortie (voir la page
Vikings). En marge de notre carte photocopiée sont dessinées les côtes vues de la mer, qui nous font repérer des falaises bordant les îles, à aligner avec des crêtes de montagnes parfois imprécises ou des sommets lointains. Enfin nous entrons dans le minuscule port. Une baraque de tôle rouge désaffectée sert encore à entreposer quelques filets de pêche et à faire sécher quelques poissons. Le soleil couchant amplifie une impression de bout du monde.
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Le minuscule port de Skard, dans le Breidafjordur.
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Non loin de là s'étend Skard, aujourd'hui paisible hameau mais qui fut l'un des hauts lieux du commerce médiéval. Gaëlle et Bruno vont s'y promener et rencontrent un homme qui s'occupe de l'une des fermes et d'une petite entreprise de duvet d'eider, transformé puis exporté au Japon. Il nous offre un café. Notre hôte est passionné par les chevaux et part fréquemment en randonnée sur l'une de ses montures dans l'arrière-pays. Il est le descendant direct du premier colonisateur des lieux vers l'an mille, Geirmundr « peau d'enfer », ainsi que de la célèbre Olof Loftsdottir « la riche », qui n'hésita pas à soumettre en esclavage et à tuer plusieurs marins anglais, en représailles de l'assassinat de son gouverneur de mari par ceux-ci en 1467. Puis notre hôte nous rend visite au bateau. Des voiliers viennent parfois s'amarrer ici, mais il n'avait jamais eu l'occasion d'en visiter un. Nous nous séparons, car il doit livrer son duvet à Reykjavik.
Nous repartons dans le dédale des îles pour rejoindre Flatey, autre petite perle du Breidafjordur, la dernière de ses îles encore habitée toute l'année.
La Volta II mouille au centre d'un petit cratère volcanique, dont les bords sont envahis de colonies d'oiseaux: macareux, mouettes, sternes. C'est coloré, bruyant, magique!
La Volta II dans le cratère du volcan.
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L'annexe nous permet de rejoindre l'île principale toute proche. Les sternes agressives perturbent notre tour de l'île, qui nous rappelle la Bretagne. Ici et depuis plusieurs escales, Arielle se régale avec ses aquarelles: les décors se prêtent à de beaux dessins!
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Le poisson séché du Breidafjordur.
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C'est le départ pour Reykjavik, avec l'impression de terminer la boucle… L'étape dure 31 heures, sans histoire. Extraits du livre de bord: « Je ne trouve pas les bons réglages et m'énerve tout seul pendant mon quart » (Bruno), « L'antenne de 424 mètres est par le travers », « A doubler la pointe de Snaeffelsnes », « Quelques dauphins à bec blanc », « On entre dans le Faxafloi », « Arielle prend le deuxième ris en pantoufles », « 2h30 Arrivée Reykjavik ». Nous sommes le 29 juillet. Nous n'avions pas vu d'aussi grande ville depuis longtemps (environ 100 000 habitants).
Nous (Gaëlle et Bruno) partons faire une virée en bus d'une semaine dans le sud du pays. Même si Arielle est d'agréable compagnie, cela nous fait du bien de nous retrouver à deux, en couple. Après un trajet qui nous fait suivre la piste passant au pied du terrible mont Hekla (dont les éruptions ont souvent dévasté l'Islande), nous plantons la tente au cœur de la région de Landmannalaugar. Nous sommes entourés de coulées de lave, de lacs, de rivières, et de montagnes volcaniques qui offrent au regard une palette de couleurs complète. Nous marchons sur des pentes parfois escarpées d'où s'échappent quelques fumerolles. Après les balades, nous nous prélassons avec délices dans une rivière à l'eau naturellement chaude. Nous n'y sommes pas seuls: les randonneurs sont nombreux à barboter dans ces eaux peu profondes et nous nous faisons un peu l'effet d'une troupe d'hippopotames. Des gens de toutes nationalités s'y côtoient en maillot de bain, mais la majorité des touristes croisés sont français.
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En randonnée.
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La coulée de lave de 1477.
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Notre deuxième étape « terrestre » nous mène à Skaftafell, au pied du Vatnajokull, un glacier plus grand que la Haute-Savoie. Nos randonnées longent ses langues de glace, qui descendent jusqu'à la plaine côtière faite du sable noir des volcans. Ces alluvions sont charriées par de tumultueuses rivières et parfois par d'énormes crues, conséquences d'une éruption volcanique ayant fait fondre la glace. La dernière a eu lieu en 1996 et a emporté la route côtière. L'Islande « Terre de glace et de feu » mérite bien son surnom!
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Les glaciers issus de la calotte du Vatnajokull.
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Un monde minéral.
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Nous prolongeons un peu plus loin notre tour en bus, découvrant de nouvelles facettes de ce glacier immense, le plus étendu d'Europe. L'un de ses bras se déverse en icebergs dans la lagune de Jokulsarlon soumise aux pulsations de la marée. La glace atteint ainsi la mer.
Gaëlle et Bruno rejoignent Arielle à Reykjavik. Celle-ci est comblée par la ville, qu'elle découvre à sa manière, par petites touches, en déambulant dans les quartiers. Comme à son habitude, elle dessine le port et ses bateaux dont elle observe les mouvements. Nous quittons provisoirement notre ponton pour un quai plus abrité, à l'approche d'un coup de vent de 25 mètres/seconde (l'unité de mesure locale). Le plus illustre parmi les voiliers de passage, en tous cas pour les Français, est le célèbre
Pen Duick VI. Mais aujourd'hui, celui qui pose en vedette pour les journalistes n'est autre que
La Volta II! En effet, alors que Bruno grimpe au mât pour vérifier le gréement, deux photographes le mitraillent. Puis ils nous demandent l'autorisation de publier ces photos le lendemain dans un grand quotidien national, ce que nous acceptons incontinent. Le soir venu, notre enthousiasme s'émousse lorsque nous apprenons par deux promeneurs que ce quotidien est plutôt du genre journal à ragots. Au matin à la première heure, nous prenons connaissance de l'édition: Clint Eastwood est en première page,
La Volta II en troisième. Nous faisons traduire l'article: ouf, il n'y a pas de médisances, comme on peut le constater dans notre page
Revue de presse!
Nous visitons de passionnants musées sur l'histoire de l'Islande, des temps de la colonisation à celui des sagas, puis de la « longue nuit » (des siècles de domination étrangère, norvégienne puis danoise), jusqu'à l'indépendance enfin acquise après la seconde guerre mondiale. Nous y admirons de nombreux outils, vêtements ou décorations d'époque ainsi que d'inestimables manuscrits médiévaux.
Nous assistons à la Gay Pride, un défilé haut en couleurs dans les rues de la capitale, réputée pour avoir l'une des vies nocturnes les plus trépidantes d'Europe.
Nous complétons notre collection d'images de l'Islande par un circuit incontournable et superbe dans les environs. Nous visitons d'abord le fameux site de Thingvellir où se tenait le parlement en plein air à l'époque Viking (et jusqu'au XVIIIème siècle), l'Althing. Quel endroit merveilleusement choisi, dans l'une des plus belles failles du rift medio-atlantique! (voir la page
Vikings.) Puis nous admirons encore de superbes chutes d'eau, celles de Gullfoss. Enfin, nous nous attardons comme des enfants devant un facétieux geyser, qui crache son jet environ toutes les cinq minutes.
La chute d'eau de Gullfoss.
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Douze jours après son arrivée,
La Volta II quitte Reykjavik. Notre dernier objectif islandais est l'archipel des Vestmann. Nous sommes rapidement entourés d'une multitude de petits rorquals, dont certains nous montrent leur ventre blanc ou leur bonne gueule de baleine! Nous faisons une halte prématurée à Keflavik, à cause de vibrations dans le safran. Bruno préfère vérifier cette pièce sensible et nous profitons de la marée pour poser le bateau contre un quai. Après vérifications, il y a seulement un peu de jeu dans l'axe, nous verrons ça cet hiver!
Nous contournons la péninsule de Reykjanes, au milieu de nombreux mammifères marins, dauphins, petits rorquals et probablement mégaptères, et approchons des îles Vestmann, au sud de l'Islande, sur la route du retour… Nous apercevons l'île de Surtsey, née en 1963 à la suite d'une éruption. Puis nous entrons dans le port naturel de l'île de Heimaey. La pénombre du soir de ce 11 août (les nuits commencent à s'allonger) nous laisse distinguer les contours de la passe, fermée à tribord par une haute falaise et à bâbord par une imposante coulée de lave, issue de l'éruption de 1973. L'Islande nous réserve donc encore des surprises!
Nous sommes dans la quatrième ville du pays et premier port de pêche. Heimaey s'est bien remise de l'éruption de 1973, qui a recouvert la ville de cendres, englouti une partie des maisons et provoqué l'évacuation de l'île. Nous nous promenons sur les pentes du nouveau volcan, mais notre esprit est un peu ailleurs: nous devons penser à notre traversée de retour, la plus longue de notre périple.
Nos virées "terrestres"
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