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Bretagne et mer d'Irlande
Cap au Nord
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Nous partons de La Roche-Bernard le 15 avril 2005 par la marée du matin, comme prévu. Il nous reste certes dans notre liste quelques bricoles non indispensables à faire, nous les ferons plus tard, peut-être. Depuis deux semaines, nous étions à pied d'œuvre pour être prêts à temps. Deux caddies remplis à ras-bord au supermarché ont complété notre équipement. Notre copain Franck nous a conduit au bateau la veille au soir, avec tout un bric-à-brac d'affaires diverses que nous n'avions pas encore embarquées (guitare, bouquins, cadeaux...).
Malgré un faux-départ à 8h00 (nous faisons demi-tour dans la Vilaine car la brume matinale est encore trop dense), nous larguons les amarres à 10h00, pour quatre mois et demi de voyage. Il n'y a personne sur le quai pour brandir un mouchoir, mais c'est mieux ainsi. Seul Marcel le cygne de La Roche-Bernard vient donner quelques coups de bec sur la coque, comme à son habitude.
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Les amarres sont larguées!
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Notre première journée de navigation nous conduit à Belle-Ile. Nous passons entre Houat et Hoëdic. Le temps est beau, nous prenons tout de même deux ris sous un grain passager. Nous nous offrons un petit restau au Palais pour fêter notre première étape... Déjà 40 milles de fait, plus que 2960 environ! (un mille marin = 1852 mètres) Mais promis, nous n'irons au restaurant qu'exceptionnellement, car sinon la caisse de bord pourrait ne pas supporter.
Nous partons le lendemain midi pour Concarneau, que nous atteignons à 3h00 du matin, avant l'arrivée d'une dépression. Drôle de sensation que de passer devant Groix sans s'arrêter, mais cette année, nos objectifs sont plus lointains...
Nous restons bloqués trois jours à Concarneau par le passage successif de deux dépressions (force 7 à 8), mais nous ne perdons pas notre temps: nous flânons au salon « Livre et Mer », nous échangeons des invitations à manger avec nos copains Jacques et Nicole qui habitent ici (merci pour la brandade de morue), nous bricolons au bateau.
Enfin le 20 avril, l'horizon s'éclaircit. Nous tirons des bords jusqu'à Sainte-Evette (Audierne). Prise de ris et prise de bec: Gaëlle utilise le winch des bosses de ris pour reprendre de la balancine, je confonds alors la bosse et la balancine, bref je donne donc des ordres incohérents à Gaëlle. Résultat:
« Mais regarde, la bôme est tombée sur le pont! Tu vois qu'elle est sur le pont?
- Evidemment, y a toujours un truc qui ne va pas!
- Tu n'avais qu'à mieux attacher la balancine!
- Mais tu viens de me dire de la lâcher! »
Le lendemain, départ pour les pointes de Bretagne. Une lecture attentive des courants de marée permet de voir que dans le sens sud-nord, il est possible d'embouquer le raz de Sein et le chenal du Four en une seule marée. Ce que nous faisons, avec l'aide du spi, qui nous permet de rejoindre l'Aber Wrac'h avant la renverse du courant.
Nous voici idéalement positionnés pour la traversée de la Manche, notre première traversée à deux. Après avoir pris toutes les météos possibles et imaginables (Météo France, Météo Consult, BBC), nous appareillons le 22 avril au soir. Il y a bien un peu de brume annoncée par Météo France, mais non confirmée par les autres sources.
Le vent modéré annoncé n'est pas là et nous progressons tranquillement au moteur. Gaëlle impose la règle sage d'avoir son harnais la nuit et de s'attacher sitôt que l'on sort du cockpit. Nous atteignons les rails de cargo. Nous en croisons quelques-uns, dont l'un se déroute pour nous. Nous semblons enfin sortis des rails, Gaëlle prend alors un quart de veille. Il est 4 heures du matin. Tout va bien...
Mais Gaëlle aperçoit encore des bateaux, Bruno ne peut pas dormir. Il entend Gaëlle depuis sa couchette:
«C'est curieux, je ne vois plus le bateau de tout à l'heure. » Puis: « Bruno, je crois qu'on n'y voit plus rien! »
La brume est là. Bruno allume le radar et plein de points apparaissent sur l'écran! Il semble que sur notre vielle carte n'ont pas été prises en compte les dernières modifications de rails...
L'un des points sur le radar semble en route de collision. Nous modifions alors notre cap de 30 degrés. Bruno attend une amélioration sur le radar, mais nous sommes toujours sur une route de collision! S'est-il dérouté en même temps que nous? Que faire maintenant? Il est tout proche... L'image terrifiante d'une énorme proue en acier déchirant la brume traverse l'esprit de Bruno. Nous finissons par tourner la barre de 80 degrés supplémentaires, cap à l'est, et appelons en VHF: « Cargo ship from sailing boat
La Volta II Our position is 49°02,654' North and 05°20,032' West. We are going east, OK? » Un grésillement incompréhensible nous répond, mais le ton est un peu rassurant. Enfin, le point sur l'écran se détourne de notre route... Nous ne sommes pas sortis d'affaire: nous comprenons maintenant que nous sommes en face du rail descendant, comme sur une autoroute en sens inverse. Nous n'osons pas modifier notre cap, de façon à montrer une route claire aux cargos environnants. Enfin, une accalmie dans le trafic nous permet de remettre le cap au nord et de sortir du rail. Ouf!
Dans la matinée, la visibilité s'améliore grandement et le vent se lève, favorable. Nous réalisons, mais un peu tard, qu'un mot entendu à la météo de la BBC et mal compris (« porpatches? »), était en réalité « fog patches ». Il nous reste quelques progrès à faire en termes météo anglais...
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La Manche, notre première traversée.
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Désormais, ça avance très bien, vent sud-est force 5, longue houle de sud-ouest. La terre est en vue en fin d'après-midi et nous prenons finalement une bouée à Hugh Town (îles Scilly). Nous sommes le seul voilier. Nous allons rapidement boire une pinte au « Mermaid », au bout du quai. Selon notre copain Gwendal, il y a trois bars mythiques dans l'Atlantique du Nord-Est, qu'un marin doit absolument avoir visité une fois dans sa vie: Ty Beudeff à Groix, Chez Peter aux Açores et Le Mermaid. Mission une nouvelle fois accomplie!
Nous passons trois jours dans l'archipel. Bruno, contrairement à ses précédents passages, va voir plus loin que le Mermaid. Nous allons prendre une bouée entre les îles de Tresco et Bryher, au pied d'un château médiéval. Ces îles sont magnifiques. On passe d'une végétation basse de mousses couvrant les pointes de l'ouest, à des jardins fleuris agrémentant les côtes plus basses de l'est, en passant par les ajoncs éclatants de leur jaune vif.
Des voiliers commencent à arriver dans l'archipel: le prochain week-end, il y a un grand championnat (du monde!) de « gigs », ces barques à avirons très populaires en Cournouailles. Pour notre part, nous appareillons le mardi 26 avril. Une nuit de navigation difficile (la mer est hachée et confuse à la pointe de Cornouailles, l'équivalent de notre Finistère) nous mène jusqu'à Padstow, charmant petit port dans une belle rivière bordée de champs et de plages.
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Bruno aux fourneaux: ça mérite une photo!
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Nous prenons le train pour aller visiter Bristol et la vallée de l'Avon pendant deux jours. La cité est chargée d'histoire maritime: c'est de là que partit John Cabot pour découvrir Terre-Neuve et l'Amérique du Nord, en 1498. Redécouvrir plutôt, puisque les Vikings avaient déjà exploré ces terres autour de l'an mille. La ville tire plus son charme de ses jardins et de ses quais que de son centre, abondamment bombardé durant la dernière guerre. Nous testons avec plus ou moins de bonheur les produits locaux: la pomme de terre de Cornouailles, l'horrible Flap Jack (sorte de gâteau qui ne semble fait que de farine) ou l'incontournable fish and chips.
C'est la fête à Padstow! Le Old'Oss va sortir pour célébrer l'arrivée du mois de mai (May Day) et donc des beaux jours. Il s'agit d'un costume étrange censé représenter un cheval (old horse) et revêtu par un habitant. Toute la ville y participe et cette tradition païenne et unique en Grande-Bretagne se perd dans la nuit des temps. Il y a en fait deux équipes, les rouges du Old'Oss et les bleus du Blue'Oss, créée beaucoup plus récemment (début du XXe siècle) pour mettre un frein aux libations effrénées: les bleus ne buvaient pas d'alcool. Aujourd'hui, ce principe est largement battu en brèche mais les bleus restent issus des familles plus religieuses. Dans notre pub favori, nous croisons plutôt de rudes pêcheurs prompts à lever le coude au comptoir: ce sont des rouges!
Les deux équipes défilent toute la journée dans les rues, chantant un chant traditionnel (toujours le même!) rythmé par des accordéons et des tambours et dansant (toujours le même pas!), avant de se rejoindre pacifiquement sur la place principale.
Le touriste, lui, regarde: il serait mal vu qu'il s'habille de blanc avec un ruban rouge ou bleu, s'il n'est pas un Padstonian au moins par ses parents. Les pubs ne désemplissent pas pendant trois jours.
Nous sympathisons avec notre voisin de bouée, un Nord-Irlandais à l'horrible accent, du nom de Jim, qui est là depuis six mois mais qui compte partir après la fête pour le sud. Il connaît tout le monde en ville et nous met en contact avec un tas de gens intéressants qui nous fournissent force précisions sur la tradition locale et force pintes de bière. Nous sommes parfois conviés à bord d'autres bateaux.
La Volta II est à Padstow depuis une semaine. Nous décidons de repartir vers le Nord et prenons l'option d'arriver le plus tôt possible en Ecosse, qui est le premier vrai objectif de notre voyage. Nous ferons certes des escales, mais uniquement pour prendre un peu de repos en vue de l'étape suivante. Nous ne visiterons donc finalement ni Dublin, ni l'île de Man, préférant privilégier l'Ecosse.
Le Bristol Channel (le canal de Bristol) est presque aussi large que l'English Channel (notre Manche), il est également soumis aux importantes pulsations de la marée. Nous entreprenons sa traversée.
La Volta II s'apprête à passer de Cornouailles au Pays de Galles. Las! Le vent forcit (nord 5 à 6) à peine sortis de Padstow, nous sommes au près dans une mer difficile, Gaëlle est malade. Nous nous décidons un peu tard à faire demi-tour, car nous devons attendre la marée montante pour revenir dans la rivière. Après quelques bords de travers, nous revenons à Padstow à minuit, 9 heures après en être sortis!
Nous repartons à midi. Gaëlle est un peu déprimée mais à la vue de la mer maintenant apaisée, elle retrouve le moral. Il y a du soleil, le vent n'est plus contraire. Gaëlle insiste pour prendre un long quart (de 4 heures) tant que les conditions s'y prêtent, Bruno prend le relais jusqu'à l'approche de Milford Haven, un profond aber (le mot est le même en breton et en gallois) abritant des ports de commerce et de plaisance. L'arrivée est un peu délicate, au milieu de nombreux feux de balisage. Un courant perfide et inattendu nous fait tirer des bords dans les chenaux; heureusement, il n'y a pas trop de trafic. Nous nous amarrons finalement à un ponton flottant dans une anse à l'entrée de l'aber.
Le lendemain, nous découvrons le paysage de notre petite baie: nous sommes entourés de verdure.
Nous profitons de l'escale et de l'attente de vents favorables pour nous promener le long de la côte qui est magnifique (falaises, ajoncs, moutons), et pour mettre en place l'antenne BLU qui nous permettra plus tard de capter des météos à long terme en vue de longues traversées. Ce jour, Bruno n'est pas en forme... Il enchaîne de manière royale bourde sur bourde: il coupe la seconde antenne pensant que c'était celle à changer, monte le long du pataras, pour installer la bonne antenne avec de l'adhésif (ce qui prend du temps), redescend pour s'apercevoir à sa grande stupéfaction que l'antenne est prise dans la chaise de mât. Bruno est désappointé, mais pas battu. Il remonte donc le long du pataras, armé d'un couteau pour sectionner l'adhésif et défait ce qu'il avait si bien fait. Gaëlle suit depuis le bas les manœuvres de Bruno, elle est un peu inquiète.
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Dans le coffre arrière, où doit passer le câble d'antenne...
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Soudain elle entend Bruno lâcher quelques mots d'oiseaux, il vient de sectionner le câble de l'antenne avec son couteau! Un peu projective, Gaëlle pense que Bruno va tout envoyer promener mais non Bruno garde son sang-froid (en apparence) et Gaëlle en est toute admirative! Pour conclure, au lieu d'avoir deux antennes nous n'en avons plus aucune mais ce n'est pas grave car au final ça nous a occupé tout l'après-midi.
Le lendemain, nous occupons l'après-midi a faire une séance d'exercices de récupération d'homme à la mer à l'attention de Gaëlle, dans notre petite baie. Il y a encore du boulot et Bruno frissonne à l'idée de rester dans l'eau froide aussi longtemps!
Enfin, après trois jours de vent de nord force 4 à 7, un vent modéré de nord-nord-est est annoncé. Sa direction n'est pas très favorable, mais un bord vers l'Irlande, où nous n'avions pas prévu d'aller, s'impose. C'est le vent qui décide! Nous faisons une première tentative de pêche, infructueuse, au milieu du Canal Saint-Georges. L'Irlande est en vue alors que l'on voit encore le Pays de Galles derrière nous.
La mer d'Irlande est une mer difficile. La marée y entre par le nord et par le sud; il peut y avoir de grandes différences d'heures de pleine mer ou de basse mer entre deux ports pourtant proches, ce qui génère de forts courants. On observe souvent des nappes d'eau marron, même au large. Nous visons Arklow, à 35 milles au sud de Dublin. Malheureusement, le vent forcit et tourne au nord en soirée. Virements et prises de ris, les manœuvres sont incessantes afin d'optimiser notre marche, mais en vain: nous n'arriverons pas avec la marée; la renverse du courant, qui est subite, nous en empêchera. Nous décidons de mettre à la cape pour faciliter le quart de Gaëlle. Enfin, le lendemain matin, nous atteignons Arklow, après 28 heures et seulement 65 minutes de latitude de gagnées (65 milles de nord).
Notre progression est laborieuse car les vents sont contraires et souvent assez forts, nous n'avons pas beaucoup de chance car les Pilot Charts indiquent plutôt des vents dominants de sud-ouest. Par contre, nous n'avons eu que peu de pluie depuis le départ.
C'est la première fois que Gaëlle met le pied en Irlande. Bruno y est déjà venu deux fois, à la voile, mais cette fois-ci nous sommes plutôt en escale technique: repos et plein de frais. Nous ne faillissons pas à la tradition d'aller boire une pinte de Guinness au pub, mais l'endroit n'est pas terrible, il y a la télé, la musique est naze... Le ponton où est amarrée
La Volta II est surplombé par de petits immeubles de bureau, l'entrée du port est entourée de bâtiments industriels... Ca n'a pas le même charme que Baltimore ou Kinsale!
Nos voisins de ponton, un couple de Genevois, viennent de renoncer à monter plus au nord, après avoir subi froid, pluie et brouillard. Pour eux, ce sera finalement l'Espagne plutôt que la Norvège: « Nous sommes des lâches mais nous assumons! » L'air songeur de Gaëlle inquiète Bruno.
Après un sommeil réparateur, nous mettons le cap au nord le mercredi 11 mai à 8 heures du matin. La météo, enfin favorable, annonce du sud-est 3-4. Jusqu'où irons-nous? L'Ecosse est encore loin. Le soleil brille. Les conditions sont réunies pour faire une belle étape. Gaëlle apprécie le changement. Le spi est envoyé. Nous passons devant Dublin sans nous arrêter. La météo annonce des coups de vents au sud et du beau temps au nord. Nous avons alors une petite pensée pour nos Suisses... Le linge sèche sur les filières. La vie est belle...
Le Mull of Kintyre, porte d'entrée de l'Ecosse.
« Mull of Kintyre Oh missed rolling in from the sea
My desire is always to be here Oh Mull of Kintyre » (Paul MacCartney)
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