Hébrides
Dans le vif du voyage

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Les quarts se succèdent. Gaëlle prend le plus dur (1h30-4h30) et ne semble pas pressée de voir la relève se lever! La météo est toujours bonne. Nous passons au petit matin par le travers du bateau-phare de South Rock, qui est le phare le plus à l'est de l'Irlande, et qui se trouve en Irlande du Nord. C'est à y perdre son ouest! Nous approchons de Belfast. A 9h30, la décision est prise: cap sur Islay en Ecosse! Nous sommes attentifs au trafic intense de cargos et bateaux de pêche qui nous font parfois nous dérouter, et nous exerçons à différencier les guillemots de Troïl des pingouins torda. Le spi est envoyé pour ne pas arriver après la fermeture du pub. Un catamaran vient nous doubler; nous échangeons quelques mots bord à bord.
Le mull of Kintyre, chanté par Paul MacCartney, est un promontoire et un véritable passage à niveau. Le courant de marée, favorable, ajoute 4 nœuds à notre vitesse sur l'eau: 4 + 4 = 8 nœuds, le pub se rapproche!
Enfin, à 21h30 ce jeudi 12 mai, nous accostons au petit ponton de Port Ellen, sur l'île d'Islay (prononcer « Ayla »). L'étape de notre arrivée en Ecosse fut la plus belle, 190 milles en 37 heures (record de Gaëlle battu! Gaëlle qui regrettait presque que ce soit déjà la fin de cette belle étape, à la satisfaction de Bruno). Les pubs, quant à eux, ne ferment pas à 23h00 comme en Grande-Bretagne, mais quand il n'y a plus de clients! (« Vous êtes à Islay, ici », nous précise un autochtone).

Le lendemain, nous ouvrons la première bourriche, cadeau de nos amis de Nantes, qui ne devait être ouverte que sur le sol écossais, la seconde étant pour l'Islande. Nous sommes émus en découvrant son contenu hétéroclite: vin et colombo de porc, (consommés le soir même), chocolat, bouquins, cigare, et même un Pif-Gadget! Enfin et surtout, un CD « La Volta II » avec notre parcours sur la pochette et avec leurs voix présentant tour à tour les morceaux de musique qu'ils nous ont choisis.
Les cadeaux des copains


Nous découvrons avec émotion
les cadeaux des amis de Nantes.


Petite balade à pied aux alentours. L'herbe est verte et moelleuse, la côte est rocheuse, l'île est couverte de moutons et de distilleries de whisky. Le gros dépaysement commence ici.

Puis nous naviguons vers l'île de Jura, plus montagneuse, et entrons dans le loch Tarbert, très profond et sinueux. Le paysage de Highlands qui nous entoure est bloody marvellous. La nature est sauvage, seules deux ou trois bâtisses servent de refuge aux randonneurs. La bruyère envahit les pentes rocailleuses, à de vertes prairies succèdent des étendues d'herbes jaunes. Les premières fleurs printanières égaient ce paysage un peu austère. La Volta II s'enfonce de plus en plus entre des passages étroits; nous rasons les cailloux et surprenons un troupeau de cerfs. L'effet de surprise est réciproque et nous sommes enchantés de cette apparition. Nous serrons les fesses à la vue du sondeur qui ne signale parfois plus que 30 cm sous la quille. Arrivés au bout du loch, nous préférons faire demi-tour avant que la marée ne redescende et allons mouiller un peu plus bas. Nous nous apercevons alors que le sondeur était réglé sur « FATH »... Nous apprenons dans nos documents qu'un fathom (une brasse) égal 1,8 mètre! Ca passait dons largement, mais notre mouillage s'avère finalement plus sauvage que celui du fond du loch, non loin de la route côtière.
Goulet de jour Goulet de nuit

Les goulets du loch Tarbert de Jura, lors du long crépuscule de ces latitudes.


Paysage des Highlands.

Paysage des Highlands

L'île abrite 200 habitants et quelque 600 cerfs, que nous croisons souvent lors de nos balades dans la tourbe des côtes au vent ou dans les forêts des côtes sous le vent. Nous visitons la distillerie de l'île, dont un immense entrepôt empli de centaines de tonneaux répartis sur plusieurs étages, qui se différencient par le bois dont ils sont faits et l'âge de leur contenu.
Gaëlle s'interroge sur son statut d'aventurière, suite à une traversée en annexe agitée et ventée qui a trempé ses fesses d'eau de mer et atteint son moral. Son humeur s'améliore lorsque nous atteignons la route et qu'un bus s'arrête à notre niveau. La conductrice, fort sympathique, assure aussi le rôle de facteur et livre les journaux et le lait. Elle et son mari souhaitent vendre leurs vaches et leur ferme, et racheter le tout... dans le Limousin. « Aujourd'hui, il fait beau, mais les hivers ici sont longs et sombres; la vie est chère et il faut prendre deux ferries et le train pour aller à Glasgow  » nous précise-t-elle. Il est vrai qu'en ce mois de mai, la nuit n'est plus que de quelques heures (de 11 heures à 4 heures environ), ce qui est donc le cas du jour en hiver. Notre conductrice nous propose de nous emmener au bout de sa ligne de bus afin que nous puissions découvrir la partie nord de l'île, aux habitations de plus en plus clairsemées.

A la sortie du loch Tarbert, nous franchissons la latitude 56 degrés, celle du cap Horn! Bruno n'a jamais été aussi près d'un pôle à la voile. Puis nous passons par le travers de Corryvreckan, un goulet aux courants terribles, décrit par Björn Larsson dans son livre « Le cercle celtique ». On entre dans le sound of Mull, un canal naturel bordé de châteaux, passons la nuit au mouillage dans le loch Aline aux rivages boisés qui nous font penser au Canada (où nous n'avons jamais mis les pieds), et poussons le lendemain matin jusqu'à Tobermory sur l'île de Mull, joli petit port envahi de voiliers dont les équipages viennent boire les pintes tirées des fûts de ses pubs réputés. Nous ne faillissons pas à la tradition. Le pub est magnifiquement décoré et agrémenté de nombreux petits salons. La MacEwans est bonne mais la soirée karaoké finit par nous lasser.

Le cap est mis vers le nord, malgré un avis de coup de vent sur les Hébrides, mais qui s'avèrera ne concerner que le nord de la zone. Nous atteignons la petite île de Canna au sud de Skye. Les falaises dont certaines strates sont faites de colonnes de basalte sont posées sur un socle de prairies aux pentes couvertes de moutons, de vaches... et de lapins.
Un joli voilier en bois au gréement traditionnel est mouillé juste à côté de La Volta II. C'est la troisième fois que nous le croisons et nous invitons son unique occupant, un Allemand du nom d'Uli, à venir manger des crêpes. Muni d'une bouteille de Grappa, il embarque dans sa minuscule annexe et nous rejoint. Entre deux crêpes et deux verres de vin, nous faisons connaissance avec notre invité. Uli, après une tentative de franchissement du rideau de fer par la Baltique sur un petit bateau, en 1982, tentative avortée à cause de la météo et de la police, et après l'année de prison qui a suivi, est finalement relâché dans l'ouest. Informaticien, il en est à sa deuxième année sabbatique consécutive et son périple solitaire l'a mené vers l'Irlande et le Portugal, puis jusqu'au Maroc, à Madère et aux Canaries. Il remonte maintenant vers la Scandinavie.
L'île abrite 14 habitants répartis en deux familles. Un petit local sert d'office de tourisme, d'épicerie et de restaurant. Nous ne résistons pas au crabe à l'ail et au whisky, ainsi qu'au steak de saumon et apprécions notre premier restau depuis Belle-Ile, où nous sommes les seuls clients.
De retour vers la jetée, nous nous attardons du côté d'un bateau de pêche en train de trier le poisson: leurs déchets attirent de nombreux goélands, et trois phoques gris bien dodus qui nous proposent une démonstration de natation synchronisée: un coup je nage sur le dos, puis j'exécute une vrille, j'éclabousse d'une nageoire et je sors la tête de l'eau pour mesurer mon effet.
Avant de partir vers les Hébrides extérieures, et après la météo BBC de 5h35, nous allons explorer à pied la côte sud. Nous croisons deux huîtriers pie, curieux oiseaux au long bec rouge, aux yeux rouges, avec des ailes et un corps noir et blanc. Nous marchons dans la lande au milieu des moutons et des vaches. Nous approchons du phare à l'extrémité de l'île. Nous apercevons alors une nuée d'oiseaux exécutant de grandes courbes. Est-ce que ce sont eux? Nous nous approchons, sortons les jumelles. Ce sont bien les macareux moine, symboles haut en couleurs de toute l'avifaune marine, au comportement drolatique, avec leur faciès hors du commun dominé par un gros bec multicolore, leur calotte et leur redingote noires et leur chemise blanche. La nuée tourne autour d'un spectaculaire îlot cylindrique dont ils occupent le plateau sommital couvert d'herbe rase et de fleurs roses, dans lequel ils creusent leurs terriers. Ils y atterrissent en utilisant leurs pattes comme aérofreins. Ils finissent par tous se poser sur l'eau et ne bougent plus, cela doit être l'heure du bain.
Nos regards se tournent alors vers les falaises abruptes de l'îlot, où nichent de nombreuses mouettes et quelques groupes de guillemots de Troïl et de pingouins torda. Sur cette île, une bonne moitié des espèces de notre bouquin sur les oiseaux de mer est passée en revue!


« Mais nous entrâmes bientôt dans des eaux calmes, et c'était tout ce qui comptait. Le reste n'avait plus d'importance. Pas même le cotre de pêche avec un MacDuff gesticulant sur le pont. »
(Björn Larsson,
Le Cercle celtique)

La croix celtique

Nous partons pour South Uist, dans les Hébrides extérieures. La navigation est tranquille, soleil et vent force 2-3 de travers. Nous sommes depuis quelques jours au cœur d'une zone dépressionnaire modérée, à faible évolution et au centre peu actif: c'est plutôt du beau temps, alors qu'il y a des coups de vent annoncés sur les zones périphériques.
Au petit port de Loch Boisdale, nous croisons trois kayakistes écossais qui parcourent l'archipel. Nous sommes mis en garde sur le fait que l'ambiance est lourde, car le Celtic de Glasgow, que South Uist supporte, a perdu le championnat de football dans les deux dernières minutes. Ce sont donc les « fuckin'Rangers » qui empochent le titre cette année. Bruno se risque tout de même au pub le soir. Sa pinte est à peine commandée qu'un jeune est mis dehors sans ménagement par trois ou quatre gaillards, non sans rugir, les veines du cou gonflées à bloc, un dernier et tonitruant « Fuckin'bastard! » à la cantonade, avant de franchir brutalement la porte de sortie. Bigre, les Hébrides extérieures, c'est vraiment le far west écossais! Mais l'ambiance s'apaise et quelques chants sont entonnés.
Le lendemain, nous partons à pied vers la côte ouest, bordée d'une immense plage de sable blanc. Notre pique-nique est perturbé par un grain. A l'abri précaire d'un muret, nous observons les huîtriers pie en attendant l'accalmie. Contre toute attente, nous parvenons à caresser un agneau. D'habitude, leurs mères les appellent lorsque nous approchons à moins de 10 mètres et s'éloignent.
Moutons Agneau

Les moutons des Hébrides extérieures.


La météo annonce une dépression arrivant par l'ouest, accompagnée d'une série de « Gale warnings » (avis de coup de vent) et nous décidons de revenir vers les Hébrides intérieures, aux eaux plus abritées, de manière à ne pas risquer de rester bloqués et à nous rapprocher de notre rendez-vous à Oban avec Arielle à la fin du mois. Mais pour l'instant, c'est la pétole et nous naviguons au moteur. Nous apercevons parfois le dos arrondi d'un cétacé non identifié, plus gros qu'un dauphin mais plus petit qu'une baleine. Peut-être sont-ce des petits rorquals, fréquents paraît-il dans ces eaux. Pas encore de « Gaëlle warning » à signaler: elle fait sa première séance de bronzette depuis le départ! Nous longeons l'île de Skye à bâbord. A tribord, nous retrouvons l'île de Canna, sur laquelle nous avions bien amélioré nos connaissances ornithologiques. Aujourd'hui, nous rencontrons successivement quatre oiseaux isolés: un macareux, un cormoran, un fou de Bassan et une sterne. Quelques dauphins saluent notre arrivée dans le loch Scavaig sur l'île de Skye. Nous longeons de nombreux petits îlots aux rochers plats. « Ca, ce seraient bien des rochers à phoques » remarque Gaëlle. Bruno hausse les épaules.
L'endroit n'est pas sans rappeler à Bruno certaines caletas de la Terre de Feu. Nous sommes au pied des Cuillin Hills (trois étoiles au guide vert Michelin!) aux pentes escarpées, entourées de vallées glaciaires. L'abri est bien fermé par des îlots et une cascade descend de la falaise. Nous accostons en annexe et remontons une rivière jusqu'à un lac situé dans un cirque de montagnes. Bruno tente une baignade mais renonce à mi-cuisses.
Le loch Scavaig


La Volta II pose dans le loch Scavaig.


Aujourd'hui a eu lieu un grand événement: notre premier poisson a été pêché! Il s'agit d'un maquereau. A notre soulagement, car c'est la seule espèce que nous reconnaissons à coup sûr. Inutile de sortir le bouquin sur les poissons. Gaëlle le mitonne avec amour et avec du Muscadet. Par contre, tous les autres hameçons ont disparu, ça fait cher du maquereau.
Le maquereau


Pêche miraculeuse.


En soirée, de nombreuses sternes décrivent des cercles sur les eaux du loch. Sans aucun doute, elles sont plus efficaces que nous pour la pêche: leurs becs ressortent munis de petits poissons suite à leurs plongeons en piqué. Le lendemain matin, nous appareillons et longeons les îlots aux rochers plats: ils sont couverts de phoques! Une quarantaine d'individus de toutes générations répartis en trois groupes. Bruno accapare sans vergogne les jumelles. L'espèce est cette fois-ci le phoque veau-marin (c'est en tous cas ce que déclare Bruno).

Après une navigation encore souvent au moteur, nous atteignons le Loch Nevis (au sud-est de Skye, sur la Grande-Bretagne). L'arrivée de la dépression se confirme, la visibilité diminue, il pleut presque sans discontinuer. Nous jetons l'ancre dans une anse abritée et attendons le vent, qui souffle modérément la nuit, plus fort au matin.
L'après-midi, nous déplaçons le bateau un peu plus loin, en face du « pub le plus isolé de Grande-Bretagne ». Ce coin-là de la péninsule de Knoydart n'est en effet accessible qu'à pied ou en bateau. Nous y croisons de nombreux randonneurs.

Nous retournons vers Oban et y parvenons juste au début de l'arrivée d'un coup de vent. La marina, située en face sur l'île de Kerrera, est chère (20 livres, douches et bateau-taxi pour Oban non inclus, nous n'avons jamais vu ça, quoique apparemment c'est un prix normal en GB), mais nous y trouvons une aide efficace pour nos quelques problèmes: la grand-voile, déchirée au niveau d'une latte, est réparée et renforcée; nous modifions le système de cadène d'étai.
Bad weather! Nous ne pouvons pas assister à un concert de musique écossaise donné dans un pub d'Oban, car le bateau-taxi n'assure pas la liaison en raison du vent trop fort! Nous sommes bons pour une bonne soupe façon écossaise concoctée par Gaëlle (légumes cuits avec du mouton: tout simplement délicieux), et comme douce activité ce sera lecture sous la couette car il ne fait pas si chaud ce soir, le thermomètre indique 15 degrés dans le bateau.
L'équipage se renforce: nous allons chercher Arielle au train ce 30 mai. Notre nouvelle coéquipière est munie d'une bouteille de Champagne pour l'anniversaire de Bruno.

L'île de Canna


La navigation continue :

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